Pensée fallacieuses et forteresses
Plan
1. Notre manière de penser façonne notre existence
2. Le vieil homme et ses pensées
3. Renouveler notre manière de penser, clé de la conversion
1. Notre manière de penser façonne notre existence
En nous, spontanément, surgissent de manière incessante des pensées. Elles proviennent tantôt de notre inconscient, tantôt de Dieu, tantôt de l’Ennemi. Les pères du désert les appellent « logismoï », des germes de passions, des suggestions ou impulsions plus ou moins obsédantes. Ces pensées spontanées, Jésus y fait allusion : « C’est du cœur que proviennent les pensées mauvaises, … » (Matthieu 15, 19). Ensemble, elles constituent la manière dont nous voyons le monde. On pourrait dire : vision globale, schéma mental, préconception, système de croyances, système symbolique, forteresses, logismoï, système du monde, etc.
Notre système de pensée
Il ne s’agit pas des pensées que nous avons parce que nous décidons de les avoir, fruit de l’activité discursive volontaire que nous menons parce que nous réfléchissons à telle ou telle question. Ces pensées spontanées nous viennent à l’esprit dès que nous nous réveillons le matin. C’est notre expérience commune, dès que nous sommes éveillés « ça parle en nous » … à la limite « sans nous », nous ne pouvons l’empêcher : « ne traînes pas, tu vas rater le train », « prends aujourd’hui le temps de … », etc. Notre esprit est bombardé de pensées suscitées par ce que nous voyons, entendons, ressentons ou par les souvenirs qui affleurent de la mémoire et dont s’empare notre imagination.
Notre mémoire est constituée de souvenirs, sains ou blessés, emmagasinés dans :
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Le subconscient, magasin des souvenirs dont, précisément, nous pouvons nous souvenir ;
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L’inconscient où sommeillent les souvenirs blessés, refoulés et sensés ne pas revenir à la conscience ;
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Le surmoi (gendarme intérieur et idéal du Moi) où nous avons engrangés des souvenirs de notre prime éducation qui nous ont fournis des interdits, des injonctions et des modèles à imiter lorsque nous étions encore dépourvus de raison. Cette instance infra-morale a permis que l’enfant que nous étions se structure et croisse vers plus d’autonomie.
Ainsi, ces pensées que nous ne maîtrisons pas dépendent de notre histoire personnelle, heureuse ou malheureuse, et de la manière dont nous avons répondu aux événements. Les souvenirs sont construits, d’où la question : qu’as-tu fait de tes blessures ?
Dès avant notre naissance, et avec grande importance durant les premières années de notre vie, un ensemble de souvenirs sédimentent en nous dont certains deviennent des balises, des références qui s’organisent pour élaborer une vision globale et dynamique…
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de Soi : notre identité, notre moi idéalisé (qui nous aimerions ou devrions être) sous forme de représentations, le plus souvent illusoires.
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de Dieu : dont nous avons surtout de fausses-images.
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des autres
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du monde
A leur tour, ces souvenirs font ce que nous sommes, notre vision globale façonne notre manière de nous habiller, de marcher, de parler, de ressentir ce qui nous arrive, etc. et suscite nos émotions. Cette vision fonctionne comme une grille de lecture. Nous percevons le réel de manière déformée sans nous en rendre compte à cause de cette paire de lunette constamment posée sur notre nez. Nos manières de prendre conscience et de réagir sont fortement influencées par la manière dont nous avons été, dans notre enfance, aimés et regardés, ou mal aimés et laissés pour compte. Découvrir notre propre système de croyances, nos schémas mentaux habituels nous aidera à prendre distance des conditionnements qui font obstacle à notre croissance en liberté intérieure. Les blessures donnent une image déformée de la réalité comme si nous portions des « lunettes interprétatives », ajustées en fonction de notre passé personnel ou collectif. Il suffit qu'une personne nous ait fait du mal pour que, par la suite, nous craignions toutes celles qui lui ressemblent par leur comportement aussi bien que par leur physique. Il en est de même pour les lieux ou les situations dont nous avons eu à souffrir.
Les émotions découlent du système de pensées
Les pensées sont des germes de passions, disaient les Pères du désert. Elles suscitent des émotions (ou sentiments, passions, etc. : termes étant équivalents dans notre propos) qui sont autant de désirs, d’impulsions à agir. Les passions sont moralement neutres puisqu’elles ne sont pas volontaires. Elles incitent à entamer telle ou telle action et en fournissent l’énergie. C’est ce que nous faisons de nos émotions qui est moral … ou pas.
Le contact avec le monde suscite continuellement de telles incitations (motions) : pensées spontanées d’abord, émotions et désirs d’agir ensuite, spontanément régis par la recherche du plaisir (de rassurement affectif, par ex.) et la fuite du déplaisir (de l’angoisse de séparation, de la souffrance, etc.).
Nos comportements font ce que nous sommes
Ces désirs multiples poussent à agir pour être satisfaits. C’est le rôle de la raison de discerner les bonnes motions des mauvaises. Les bonnes sont celles qui vont dans le sens de la croissance en humanisation et en sanctification. Les mauvaises contrecarrent la croissance de la santé et de la sainteté, elles tracent ‘des chemins de mort’.
Nous sommes responsables de notre agir : bon, il nous construit, il est alors ‘vertueux’; mauvais, il divise intérieurement, il replie sur soi et sépare davantage du Créateur. Tant de comportements empêchent d’être libre devant Dieu, les autres et soi-même. Les actes déterminés par des blessures, même partiellement, façonnent une identité illusoire. Nos comportements nous construisent. Notre identité est un mélange, en proportion variable de :
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Identité illusoire (le vieil homme - ego) qu’ont progressivement façonnée nos comportements blessés ;
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Identité réelle (l’homme nouveau - Je) plus conforme à notre « Nom de grâce », la manière dont Diue nous voit. Elle est un fruit de l’accueil de la grâce.
Une triade : pensées - affects - comportements
Spontanément, nous avons tendance à croire que les émotions conditionnent l’agir, le schéma étant alors le suivant :
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un événement (0) nous affecte, nous y réagissons émotionnellement (2),
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ces émotions, à leur tour, incitent à poser tel acte ou à adopter telle attitude, à développer tel comportement (3).
Par exemple, la colère (2) que suscite une parole malveillante (0) met sur la défensive et fait hausser le ton (3).
Evénement (0) => (2) => (3)
Emotions Comportement
Passions - désirs Acte - Attitudes
Colère Hausser le ton
En réalité, nous ne réagissons pas aux événements bruts mais à la manière dont ils ont été décodés, perçus, filtrés et transformés par notre grille de lecture. Ce point est capital.
Evénement (0) => (1) => (2) => (3)
Système de pensées Emotions Comportements
Sain Désir ordonné Sains voire saints
Blessé - Forteresses Désirs désordonnés Blessés voire pécheurs
Déjà, le philosophe Épictète enseignait que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les représentations qu’ils en fabriquent. »
La manière dont "cela pense en moi", souvent de manière blessée et non-évangélisée = forteresses, appartient au vieil homme.
La raison normalement gouverne les affects et informe la volonté en lui donnant des motifs d’agir et de diriger notre existence. Elle a besoin d’être purifiée des raisonnements fallacieux - les forteresses - qui habitent notre esprit. Voici ce qu’en dit saint Paul :
« Notre conduite est bien une conduite d’homme, mais nous ne combattons pas de manière purement humaine. En effet, les armes de notre combat ne sont pas purement humaines, elles reçoivent de Dieu la puissance qui démolit les forteresses. Nous démolissons les raisonnements fallacieux (prétentieux), tout ce qui, de manière hautaine, s’élève contre la connaissance de Dieu, et nous capturons toute pensée pour l’amener à obéir au Christ. » 2 Co 10, 3-5
NB : Les thérapies cognitive-comportementales (TCC) s'attaquent aux difficultés du patient dans « l'ici et maintenant » par des exercices pratiques centrés sur les symptômes observables dans le comportement. Le thérapeute intervient sur les processus mentaux (dits aussi processus cognitifs), conscients ou non, considérés comme à l'origine des émotions et de leurs désordres.